Architecture, immobilier : comment la Grande percée a-t-elle métamorphosé Strasbourg ?

De française à allemande puis d'allemande à française, ballottée d'un camp à l'autre, Strasbourg nous raconte aujourd'hui un condensé de l'Histoire de France. Preuves de ce passé émaillé par les conflits mais riches de nombreuses influences et de nombreuses cultures, l'urbanisme et l'architecture de Strasbourg sont des témoins de l'évolution de notre ville depuis 150 ans. Avec de nouveaux quartiers voyant le jour dès la fin du 19ème siècle à Strasbourg, en particulier la Neustadt, des quartiers historiques de la ville vont également se métamorphoser au fil du temps. Coup de projecteur sur ce que les historiens appellent la Grande percée.

La création de la Neustadt à la fin du 19ème siècle laisse aujourd'hui encore une forte empreinte architecturale à Strasbourg. Cette "nouvelle ville" dans la ville, construite sous l'empire allemand après l'annexion de Strasbourg à la Prusse en 1871, était un projet à la hauteur des ambitions allemandes : faire de Strasbourg une vitrine de la puissance germanique d'alors. Mais si des investissements pharaoniques furent consentis pour créer de nouveaux quartiers, la Neustadt donc, des investissements significatifs furent aussi consentis pour moderniser le reste de la cité.

Car à l'époque, les rues du centre-ville de Strasbourg n'étaient pas pavées comme aujourd'hui. Les artères commerçantes n'étaient pas aussi apprêtées. On ne prenait pas de café en terrasse. Au contraire, Strasbourg était une ville insalubre et crasseuse, enserrée dans ses fortifications du 17ème siècle. La circulation d'un bout à l'autre de la ville était obstruée par un lacis de rues anciennes. Sa population, en forte croissance à la fin du 19ème siècle, vivait encore dans des conditions d'hygiène déplorables.


Améliorer les conditions de vie des Strasbourgeois

Avec de nombreux objectifs en tête tels que relier la nouvelle gare de Strasbourg achevée en 1883 au reste de la ville, faciliter les convois de marchandises jusqu'à la place Kléber et jusqu'au port situé sur l'actuelle place de la Bourse, créer un réseau de tramway et, surtout, améliorer les conditions de vie des Strasbourgeois qui vivaient alors dans des logements poisseux, humides, sans chauffage ni installations sanitaires, la mairie ne passa pas par quatre chemins.

Exit les rues pestilentielles et lugubres du centre-ville.
Exit les ruelles et les passages enchevêtrés les uns dans les autres qui compliquent le transport des marchandises et le commerce.
Exit enfin des dizaines d'immeubles miteux et vétustes, situés dans la Grand Rue et ses rues adjacentes, avec leurs cabinets d'aisance dignes des romans d'Alexandre Dumas.

Les grandes préoccupations des maires successifs de Strasbourg qui ont motivé la Grande percée était bel et bien sociale et hygiéniste. Car si des mesures furent prises par le pouvoir français dès le milieu du 19ème siècle pour lutter contre les fléaux qui touchaient les populations à l'époque, l'habitat insalubre, l'absence d'équipements sanitaires, d'hygiène et de chauffage, Strasbourg connut sous l'égide allemande une accélération de sa mutation en ville moderne. Par la création de la Neustadt et d'immeubles prestigieux au nord de la ville bien sûr, mais aussi par la transformation totale du centre-ville. La Grande percée était en marche.


Place à la modernité

Malgré les remous causés par le relogement d'innombrables familles dans des cités-dortoirs conçues pour l'occasion au Stockfeld dans les années 1910 et dans des maisons comme le foyer du Célibataire à la Krutenau, la Grande percée est décidée au début du 20ème siècle.

Place dès 1909 aux travaux de création de la toute nouvelle rue du 22 Novembre, à l'époque dénommée "die neue Strasse", la Nouvelle rue, et à ses immeubles imposants, modernes grâce à des installations comme le chauffage central, et aussi commerçants. La portion qui va de l'église Saint-Pierre-le-Vieux à la rue de la Demi-Lune fut percée. C'est aussi à cette époque, avant la première Guerre mondiale, que sortirent de terre de magnifiques immeubles comme le 34 rue du 22 Novembre, qui abrite aujourd'hui les Galeries Lafayette, et le plus vieux cinéma en France, L'Odyssée, rue des Francs-Bourgeois.

La première Guerre mondiale mit un coup d'arrêt à cette transformation de la ville jusqu'à ce que Strasbourg, redevenue française, ne reprît son chantier en 1919. Les années 1920 marquèrent une nouvelle étape dans la modernisation de la ville et la poursuite de sa mutation. La rue des Francs-Bourgeois telle que nous la connaissons aujourd'hui prit forme ainsi que l'indémodable "Maison rouge" en 1927, tandis que furent érigés les immeubles aux arches de la rue de la Division Leclerc en 1934. Dans ces rues élargies, le tramway pouvait désormais se déployer et filer vers la rue de la Première Armée, en direction de la place de la Bourse et du Port de Strasbourg.

Après une nouvelle parenthèse pendant la deuxième Guerre mondiale, les années 1950 et 1960 virent se poursuivre les projets immobiliers de la ville de Strasbourg. Les objectifs initiaux étaient toujours d'actualité : améliorer la qualité de l'habitat, fluidifier les transports de marchandises et développer le commerce dans la ville. Mais l'urbanisme dut toutefois composer avec l'apogée de la voiture comme nouveau moyen de transport. La Grande percée s'accompagna par conséquent de routes, de places de stationnements et de feux de signalisations permettant à tous les Strasbourgeois de se déplacer avec leur voiture personnelle. Le tout-voiture allait s'emparer de Strasbourg !

La Grande percée est le projet d'urbanisme le plus ambitieux ayant été pensé pour Strasbourg dans l'époque récente. Réalisée en trois étapes, entre 1909 et les années 1960, entrecoupée par deux guerres mondiales, commencée par le pouvoir allemand et achevée par le pouvoir français, cette percée a fait entrer la ville dans l'ère moderne.

Dernière anecdote, le plan d'origine de la Grande percée prévoyait initialement de détruire puis de reconstruire le tronçon devant relier la place Kléber à la rue de la Nuée-Bleue, à la rue du Faubourg de Pierre et à la rue du Faubourg de Saverne en passant par… l'actuelle place des Halles. Pourquoi ce plan n'a-t-il pas vu le jour ? Car après-guerre, la priorité était de créer de nouveaux quartiers et de nouveaux logements en périphérie de Strasbourg, à la Meinau, au Neudorf ou encore à Hautepierre.