Architecture, patrimoine immobilier : la Neustadt, témoin de l'Histoire de Strasbourg

Strasbourg, 1870. Une grande partie de la ville est réduite en cendres. Le siège et les bombardements de la guerre font rage. Le conflit militaire a laissé derrière lui des immeubles éventrés, des familles sans abri, l'insalubrité dans la ville. Dans le même temps, le centre de Strasbourg est enclavé dans ses fortifications moyenâgeuses où la population vit entassée, dans des conditions précaires. Une ville en souffrance. Pour remédier à cette situation, le pouvoir allemand décide de créer une couronne de forts, tout autour de Strasbourg. La ville va bientôt tripler de taille.

Le nouveau pouvoir en place veut faire de Strasbourg une grande métropole, une vitrine de la puissance impériale germanique, ce qui se matérialisera par une politique d'urbanisation ambitieuse. La Grande Percée est alors imaginée. De démolitions de bâtiments vétustes en constructions de bâtiments modernes, la ville prend un nouvel essor. Des places sont créées, des voies et des routes sont tracées, des transports en commun sont imaginés pour étendre et moderniser la ville.

Au départ, les Strasbourgeois boudent la nouvelle ville, cette Neustadt qui se crée et dont ils ne veulent pas, après le traumatisme de la guerre. Les Strasbourgeois préfèrent se concentrer dans l'ellipse insulaire, autour de la Cathédrale. C'est aussi une manière de protester contre les sommes, qu'ils jugent exorbitantes, investies dans les travaux engagés par le pouvoir allemand. Du coup, ce sont essentiellement les petits bourgeois et les fonctionnaires allemands qui emménagent dans ces immeubles à cinq ou six étages, construits dans la Neustadt, s'étendant des Contades à l'Orangerie, en passant par l'avenue des Vosges, l'avenue de la Forêt-Noire et l'avenue de la Paix.


La place impériale, comme un symbole

Symbole parmi les symboles, une place impériale est créée, à l'endroit de l'actuelle place de la République. De terrain vague, elle devient la tête de proue de la ville, bordée de bâtiments somptueux, colossaux et au confort inédit pour l'époque. Parmi les plus impressionnants ouvrages se trouve le Palais du Rhin, autour de la place de la République, un édifice construit entre 1883 et 1889 où Guillaume 1er élit domicile lorsqu'il séjourne en Alsace. Palais à la forme carrée, de style néo-renaissance, l'ouvrage est coiffé d'un dôme monumental et orné d'un aigle victorieux. De part et d'autre de la place de la République, des édifices monumentaux sont également construits pour accueillir les services administratifs de la Trésorerie, l'actuelle préfecture du Bas-Rhin, et la Bibliothèque Nationale Universitaire, surmontée du dôme impérial, à la façade néo-classique et dont les médaillons évoquent des personnages célèbres des Sciences et des Lettres.


La place de la culture dans la Neustadt

Un des nouveaux axes de la ville mène désormais du Palais impérial au Palais universitaire, de la place de la République à la place de l'Université. Entre les deux, l'actuelle avenue de la Liberté relie ainsi le pouvoir politique et le pouvoir culturel. Pour répondre au souhait des Allemands de s'entourer d'une élite culturelle et scientifique, l'université de Strasbourg, qui existe depuis le XVIème siècle, dispose désormais de moyens colossaux. Ainsi, en 1884, l'université emménage dans les bâtiments flambant neufs du tout nouveau quartier universitaire. L'observatoire, la bibliothèque universitaire de la place de la République et les instituts de botanique, de zoologie, de physique et de minéralogie accueillent alors leurs premiers étudiants tandis que le palais universitaire regroupe l'ensemble des services administratifs. L'université de Strasbourg devient rapidement un haut-lieu de la culture et de l'enseignement en Europe.


Des avenues monumentales

Sur le plan de l'urbanisme, tout évolue à Strasbourg. En avril 1880 commencent ainsi les travaux de construction de ce qui allait devenir l'avenue des Vosges. Longue de 1 200 mètres et large de plus de 30 mètres, l'avenue des Vosges s'étend de l'actuelle place de Haguenau jusqu'à l'église Saint-Paul et ses tours de 76 mètres de haut. L'avenue des Vosges est pavée en 1886 et voit ses rues adjacentes mises en chantier dès les années 1890, en particulier la rue Louis Apffel, la rue Oberlin, la rue du Général Rapp ou encore la rue du Général Frère. Si la majorité des immeubles construits sont destinés à l'habitation, des immeubles emblématiques sont construits autour de l'avenue des Vosges, notamment le Palais des Fêtes, inauguré en 1903. C'est une salle des fêtes et d'animations sociales où s'organisent régulièrement des festivités, des bals, des cabarets alsaciens et où se produisent des artistes du théâtre alsacien.

L'avenue des Vosges est pensée pour servir de voie pour traverser la ville, de la gare vers le pont du Rhin, permettant ainsi d'éviter la vieille ville, et se prolonge en direction de l'avenue de la Forêt-Noire et d'un quartier huppé qui jouxte l'observatoire. La rue de l'Observatoire, la place Arnold, la rue Saint-Maurice et son église, achevée en 1893, accueillent ainsi des familles bourgeoises.

Quant à la prestigieuse avenue de la Paix, elle est bordée d'immeubles destinés aux hauts fonctionnaires allemands. Elle croise les Contades, ce grand parc entouré de confortables villas et, un peu plus loin, le parc du Tivoli, au Wacken, un jardin public très apprécié des Strasbourgeois, dès la fin du XIXème siècle. Des restaurants, des guinguettes et des bals y attirent des foules de Strasbourgeois. Ses concerts sont réputés, notamment ceux donnés par les différents régiments en garnison à Strasbourg. Car on aime la musique militaire en ce temps-là !


Vivre dans la Neustadt

Sur le plan architectural, les bâtiments de la Neustadt sont d'inspirations variées. Des immeubles de style Art nouveau précèdent des immeubles classiques ou inspirés par l'Art déco, tandis que les bâtiments administratifs et culturels de la place de la République, de style néo-renaissance, cohabitent avec des ouvrages colossaux tels que l'Hôtel des Postes, situé avenue de la Marseillaise, dans un style néo-gothique. Conçu entre 1896 et 1899, aujourd'hui réhabilité pour accueillir des bureaux, des commerces et des logements, l'Hôtel des Postes permet, à l'époque, d’améliorer la rapidité des communications sur l’ensemble du territoire de l’Empire. L'édifice abrite la poste centrale et l’administration télégraphique du Reichsland.

A l'intérieur des immeubles de la Neustadt, les appartements d'habitation se caractérisent par des plans en « L » où les pièces d'apparat et de réception, donnant côté rue, sont utilisées pour accueillir les convives et dîner en famille. Parquets massifs et moulures fastueuses sont le standard de ces pièces de vie. En revanche, sur l'autre branche du « L », donnant côté cour, on trouve les salles d'eau et la cuisine, à l'attention des domestiques et des majordomes qui travaillent au service des propriétaires. Souvent, un escalier de service est présent, à l'arrière des immeubles, à l'attention du personnel de maison.

Quant aux prestations dans les logements, elles ne sont pas en reste puisque ces immeubles collectifs sont dotés de tout le confort moderne de l'époque : le tout-à-l'égout devient la norme, l'eau courante, le chauffage au gaz à tous les étages, des salles de bain privatives et des toilettes également. A l'intérieur des appartements, les hauteurs sous plafonds sont spectaculaires, les moulures faites à la main et les parquets massifs à bâtons rompus sont des chefs d'œuvre. Des prestations intérieures et des caractéristiques qui font des appartements de la Neustadt des logements toujours aussi prisés, plus de 120 ans après leur construction.